Dans les rues du Gandiol..

Article : Dans les rues du Gandiol..
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9 février 2012

Dans les rues du Gandiol..

Chers lecteurs, je vous donne à lire (une fois de plus) cet article que j’avais rédigé il y a bien longtemps. Il relate de choses qui me tiennent beaucoup à coeur. Un écrit empreint de tristesse où je me revois dans les rues paisibles et poétiques du Gandiol. Quand je le rédigeais, je sentais les souvenirs de « dans les rues de Colobane » d’Aminata Sow FALL me peser.

Nous étions une dizaine d’enfants, insoucieux de l’air du temps dans les rues de Dégou-Niayes. Nous nous précipitions, tous les matins, sauf les jeudis et vendredis à nous rendre à l’école coranique d’OustazDjibril, non loin de nos demeures. Nous composions un formidable groupe d’amis : Magatte Sow, Souleymane, Mamadou Seybatou, Mouhamet Ba, Issa Malal Sow, Daouda Hadjel…

Cette impressionnante école était notre trésor commun. Nous adorions notre maitre .Mais aussi redoutions sa colère parce qu’il était d’une méchanceté indescriptible. Il ressemblait à bien des égards à Thierno(le maitre dans l’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane) Il lui arrivait de tremper longuement une branche, parfois un arbuste dans un sceau d’eau pour rendre notre correction plus cruelle. C’était pour s’en servir lorsque nous commettions des fautes qu’il ne voulait point nous pardonner.

Notre Thierno avait un fils d’une rare impertinence. Parce que nous étions des élèves et n’avions aucune possibilité de faire entendre nos voix protestataires, nous continuions d’être les victimes de ce fils-pécheur impénitent. Ce dernier écrasait nos crânes de coups de théières et nous n’osions pas rouspéter. Nous dévorions les versets coraniques inscrits sur des planchettes de bois, assis à même le sol ou parfois sur des nattes, les lendemains de pluies abondantes.

Hélas, de ces doucereuses relations, le vieux temps fera autrement.

Magatte Sow est devenu commerçant dans un grand magasin à Dakar. Daouda Sow et Mamadou Seybatou partagent leur temps entre les activités maraichères et maritimes. Souleymane « bouge » dans le « petit commerce » en tant que boutiquier ou vendeur à la sauvette», Issa Malal a carrément disparu des « écrans radars », Mouhamed dont le rêve est supposé heurté une vague au fond de l’Océan atlantique, ne donne plus de nouvelles.

Hélas, même les chemins sinueux de la brousse que nous empruntions pour nous rendre chez Oustaz sont devenus si impraticables, si austères. Ils sont dénués de toute note poétique et rien n’enchante sur cet espace morne et terne. La propension de la nature humaine à s’interroger devant le mystère, l’imperceptible me hante. J’ai envie de m’exclamer et de demander à cet espace: Qu’as-tu fais au ciel? Pourquoi il te traite si indifféremment ? Si cruellement ? Et l’envie me perce encore de me demander et de demander à mes condisciples : Pourquoi le temps nous a dispersés si vite? Pourquoi Mouhamed nous a faussés compagnie si tôt ?

Mon entente avec Magatte Sow intriguait même nos parents. Nous ne nous séparions jamais. Nous échangions nos habits. Et c’est en mourant de rires que nos mamans respectives remettaient nos « garde –robes » en ordre. Néanmoins, les relations avec Mouhamed sont restées les plus marquantes.

Hélas, Mouhamed !!! Tu es parti sur la pointe des pieds.

Je n’ai pas eu le temps de te regarder en face et de marteler que tu comptais pour moi. Aujourd’hui, quand je repense à ces images de petites querelles enfantines dans lesquelles les condisciples disputaient tes faiblesses et profitaient de ta naïveté, je ne peux que laisser couler des larmes de regret. Savaient-ils que ce doucereux « don de la nature » à qui ils cherchaient querelle et parfois qu’ils rouaient de coups, allait être arraché à leur affection quelques années, quelques années seulement, au sortir de l’école coranique ? Surement, non. Car ils n’ont pas eu le temps de faire leur repentir et de te dire « pardon ». Mais Mouhamed, je sais que tu n’avais pas besoin qu’on t’extirpe ce « pardon » ; tout dans ta nature conspirait à le donner car tu n’as jamais promu le mal. Tout comme le reste de la bande que nous composions avec toi, tu étais mû par l’obstination de tirer tes parents du cercle vicieux de la monotonie du quotidien où l’économie de substance ne subsiste même plus au long cortège des besoins domestiques.

Tout comme le reste de la bande, le traumatisme de la réussite sociale rôdait autour de toi. Car notre fierté commune était d’incarner la fierté des parents qui se sont mus entre ciel et terre pour notre épanouissement. Tu as goûté aux métiers les plus damnés de la terre. De l’agriculture pour laquelle les villageois se réveillent en pleine lune défiant les vagues de froid à la pêche maritime où on passe des semaines accrochés à un maigre fil des flots de l’Océan, tu as fait ce que tu pouvais. Les vagues de ce même Océan auront raison de ta fougue et de ta détermination. Mon cœur a chaviré le jour où cette tragique nouvelle est venue par je ne sais plus où, m’informer que tu es parti à jamais. Des témoignages fort bien fondés en sont malheureusement fort bien révélateurs. Un pêcheur rapporte t’avoir vu une dernière fois t’affairant sur la rive. Et lorsque la nouvelle se propagea qu’une pirogue transportant des « clandestins » venait de chavirer, sa conclusion ne tarda point : Mouhamed est mort.

Tout dans mon existence s’embrouilla. Brouille, nuages, morosité, « lugubrité », mélancolie, tristesse… tout renvoie au champ lexical de malheur ! Ta disparition si inattendue crée dans mon cœur meurtri un espace qu’aucune jouissance ne peut combler : il t’est réservé cher frère.

Sache que je ne t’oublierai jamais. Fatimatou, El Hadj, je tiens à eux comme jamais je n’avais qu’eux. Ils sont les uniques souvenirs à la mémoire de l’esprit de sollicitude et de courage en quoi se résumait ta vie. Nous acceptons ce sort si particulier du destin car sommes convaincus que ce Dieu qui t’a créé sans notre consentement, t’a repris sans notre volonté. Nous prions, du fond de ta sépulture si solitaire, que le Seigneur des mondes te comble de bienfaits et fasse de toi une âme paradisiaque par le simple motif que c’est Celui Le « Pardonneur ».

L’avènement de l’école française à Mboumbaye Gandiol me retira des mains d’Oustaz Djibril. Pour ma mère, il fallait aussi en cette fin nostalgique de l’année 1995, entrer en Classe d’Initiative(C.I).Il ne serait jamais assez de remercier cette « wonderful woman » qui représente tout pour moi. Elle symbolise à mes yeux la persévérance, l’amour du bien-faire, la détermination. C’était un choix qui allait transformer ma vie. L’ambition et la détermination qui animaient ma mère pouvaient s’appréciaient à l’aune du défi qu’elle venait de relever : s’opposer aux croyances collectives qui assimilaient l’espace scolaire comme le terreau par excellence de l’acculturation, de la perte d’identité et de la foi islamique. Néanmoins, Dégou-Niayes n’échappait pas à cet argument illusoire de l’instinct conservateur. Il n’était pas un village d’exception. A l’instar de beaucoup de ruraux, mes voisins avaient la promptitude d’adopter une position manichéenne pensant les valeurs bien ancrées dans la culture peule comme étant exclusivement les seules et admissibles et celles de l’Occident comme inacceptables. Mais la nature ne saurait accentuer cette cruauté d’opinion : ces gens ont bien fait de changer de fusil d’épaule, (« d’esprit ») en l’espace de quelques années seulement. Aujourd’hui on constate un fort taux de scolarisation et une propension à l’ouverture dans tous les sens.

Notre nouvel établissement flambait très neuf. Il dévorait tous les rêves et toutes les passions des enfants qui souffraient de la curiosité de connaître les secrets du Français.

L’école de Mboumbaye reste encore gravée dans nos souvenirs. De mémoire d’élève, jamais un établissement scolaire n’aura été tant soucieux, tant intéressé par les questions pédagogiques et sociales qui interpelaient ses élèves. C’est pourquoi, même à la sortie de celle-ci en 2001 après le CFEE, nous avons continué à entretenir de formidables relations avec nos ex-enseignants. Je ne peux pas chasser de mon esprit, je n’essaie même pas, car certain que ce sera vain, les années de bonheur que nous avons passées dans cet établissement. Des noms défilent encore dans ma tête : M. Daouda Sow, M. Khalifa Sy, M. Babacar Niang et d’autres et d’autres encore…

Je m’étais pris d’une amitié sans bornes avec Daouda. Après le départ de M. Fall qui nous avait alors en classe de CE1, Daouda est venu poursuivre avec nous à partir du CE2 et cela jusqu’au CM2.Le charme de notre consécration à la sortie du primaire est surtout facilité par le soin méticuleux qu’il apportait à nos cours. Il est des premiers à nous avoir habitués à l’exercice passionnant de l’attention portée à l’actualité. Il avait institué une rubrique appelée  « Quoi de neuf ? » inspirée de celle de Sud FM (une radio privée sénégalaise,).

De plus, Daouda nous gavait de culture générale jusqu’au risque de nous la faire vomir, tant nous n’en manquions point ! Vers la fin des cours, il posait la fameuse question  « A quoi je pense ? » C’était un passionnant exercice suscitant curiosité et ouverture. Comment oublier    la « boite aux lettres » ? C’est dans celle-ci où nous plongions des bouts de papier portant des questions sur des choses qui nous dépassaient. Chaque semaine, il dépliait ces papiers et tâchait de satisfaire à notre passion de connaissance.

Il portait sur moi une attention toute particulière. On eût dit qu’il me connaissait bien avant son arrivée à Mboumbaye. Oh que non ! Il me rendait visite chez moi ainsi que ses collègues. Il me donnait le goût de l’apprentissage et nourrissait mon rêve de perforer. Même après mon départ de l’école élémentaire de Mboumbaye, les mêmes relations entretenues avec la même intensité.

C’est pourquoi, je n’ai point hésité à chercher à lui rendre service et à mériter cette attention. C’est ainsi que j’ai connu les siens à force de visite et de courtoisie. Ces derniers habitent Fass Ngom, un beau village sis à quelques encablures de la ville de Saint-Louis du Sénégal.

Ces moments ont imprimé sur le cours de mon existence des traces indélébiles. Quand je rencontre ces vieux amis, ces anciens camarades de classe, ces inoubliables condisciples de l’école coranique, ces enseignants de l’école de Mboumbaye, ces parents du Gandiol et d’ailleurs, mon amour-propre en sort toujours grandi. Cela me ramène toujours à une exigence de modestie et à une attitude de reconnaissance. Tous ont marqué un moment de ma vie et quelque soit le statut et le rôle que le destin peut m’assigner, ce sera toujours de bonne guerre qu’ils s’en réclament. Cette réalité est encore beaucoup plus accrue et plus valable au Gandiol. Le type de socialisation qu’on y pratique n’implique pas seulement la famille nucléaire (père, mère et enfants), mais aussi la famille composée (celle au grand complet) et même tous les voisins. De sorte que tous les villageois participent à punir et récompenser les attitudes de n’importe quel enfant sans que cela crée des tensions en général.

Au regard du brillantissime passé que j’ai eu au Gandiol avec des amis que je ne vois presque plus,je ne peux que me laisser emporté par ces souvenirs si nostalgiques. Je vous replonge dans ces moments inédits. Je vous donne à voir ce passé (qui ne passe pas comme dirait l’autre). Une écriture pleine de tristesse, je l’avoue. M’est revenu à l’esprit, sans vraiment le vouloir, le texte d’Aminata Sow Fall, dans les rues de Colobane.

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Commentaires

Joe Marone
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En lisant ce texte, on sent que l'auteur est très nostalgique.il peine à oublier ses premiers pas à l'école coranique sur les rues de Gandiol