Darou Salam, un exemple de bon voisinage

Article : Darou Salam, un exemple de bon voisinage
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15 avril 2013

Darou Salam, un exemple de bon voisinage

Entre les villages de Gniling Mbao et de Dégou-Niayes, aux alentours du fleuve Sénégal, juché sur une abondante bande de sable, Darou Salam transpire de la vie. Tout semble converger pour justifier le nom du village : la Cité de la paix. La brise de la mer s’ajoutant à celle du fleuve offre l’impression d’une rare douceur.

Au premier coup d’œil, des constructions inhabituelles distraient l’attention du visiteur. Mis à part des bâtiments que l’on rencontre dans tous les villages du Gandiol, ce qui distingue nettement l’habitation des Maures est leur gout réputé pour les « Khayma », faits d’un assemblage de plusieurs tissus harmonieusement reliés à l’aide de solides aiguilles pour que l’ouvrage soit durable. C’est dans-ou sous-cet édifice que la plupart des causeries diurnes se font, entrecoupées de tasses de thé siroté à tour de rôle. Au lever du jour, en plus du thé, il est servi du lait de chameau contenu dans des bouteilles d’un litre. Ces discussions ont aussi lieu aux moments entourant le repas à l’heure du repos. L’activité principale des Maures de Darou Salam gravite autour du commerce et de l’élevage. L’agriculture existe également même s’ils l’exercent le plus souvent à travers des saisonniers qu’ils emploient dans leurs champs.

En ce dimanche, aux dernières heures d’une après midi relativement chaude, l’ambiance est à la détente. Le vieux Bamba Fall, soixante- six ans, l’air abattu, vêtu d’un grand boubou bleu, est assis  dans la cour de sa maison. La cohabitation de l’ethnie dont il est issu avec les autres couches sociales du Gandiol est quelque chose qu’il a en grande estime. C’est non sans une apparente émotion qu’il retrace une histoire plus que centenaire marquée par des relations cordiales que ses parents et lui ont entretenue avec les Peuls et les Wolofs. D’une voix douce comme pour ne pas heurter les personnes qu’il évoque dans son témoignage, Fall rappelle que la bande qu’il formait avec ses camarades des autres ethnies a été nourrie au même lait maternel. Son récit est ponctué de percutantes anecdotes. C’est le cas lorsqu’il en arrive à la crise diplomatique entre le Sénégal et la Mauritanie, crise dont l’origine remonte au 9 avril 1989. Ce jour-la, un accrochage entre des bergers peuls mauritaniens et des paysans soninkés sénégalais allait envenimer un voisinage déjà précaire entre deux pays frères. Deux Sénégalais furent tués, plusieurs retenus en otage avec l’intervention de l’armée du voisin septentrional. Des souvenirs douloureux que charrie sa voix. Souvenirs d’autant plus pénibles que la suite de cette rixe  est une série de meurtres inconsidérés entre les deux voisins.

Le vieux Bamba n’a connu que le Gandiol : c’est là où il a vu le jour en 1947 même si, par la suite, il a séjourné dans la sous-région, notamment en Mauritanie et en Côte d’Ivoire avec un de ses amis d’enfance peul, Assane Kâ.  Il raconte que, dans un passé moins récent, les Maures n’entendaient aucunement convoler avec, par exemple, les Wolofs et les Peuls.  Mais ce tabou a fini par céder sous la poussée des brassages culturels à la mode. Toutefois, il précise que certains Maures n’avaient aucun scrupule à prendre le chemin de l’exil pour vivre en toute paix avec l’élu(e) de leur cœur. Pendant qu’il parlait, sa fille interrompt la discussion en lui apportant du lait dans une carafe.

Plus loin, Zeynab, la sœur du vieux Bamba, de près de six ans, sa cadette, assise sur une natte, devant sa porte.  Elle exhume elle aussi les souvenirs des confrontations raciales sénégalo-mauritaniennes de 1989. Au sujet du massacre des Maures par des Sénégalais, Zeynab martèle que « les Peuls et les Wolofs ont porté secours aux habitants de Darou Salam ». « Rien de dommageable ne nous était arrivé, si ce n’était le vol de notre bétail, modère-t-elle ». Le pas encore alerte, la moindre plissure sur le visage, elle semble moins jeune que les souvenirs qu’elle évoque. Zeynab confie que pendant un mois, les Maures de Darou Salam ont vécu dans la frayeur générale. Et ce, à cause surtout de la désertion du village par les jeunes qui travaillaient à Dakar et à Thiès et qui ont été embarqués pour la Mauritanie.  Il ne restait donc que des personnes âgées.  Mais Peuls et Wolofs ont volé à leur secours ainsi que les agents des eaux et forêts de la localité, qui, dès 17 heures, montaient la garde dans le village.

Ces témoignages sont accrédités par  les ethnies évoquées, à l’exception de ceux liés au vol de bétail. Néanmoins, c’est un démenti qui n’a pas l’allure d’une polémique, voire d’un sérieux. Les villageois parlent joyeusement de la crise de 1989 comme si elle n’avait pas laissé en eux des relents de désolation. Ce qui explique ce curieux état des choses, c’est que son évocation est l’occasion de se lancer des blagues du genre « telle ethnie a bien volé nos troupeaux ».

L’émotion de cette tragique césure raciale entre le Sénégal et la Mauritanie retombée, les relations sont au beau fixe à Gandiol. Une complicité existe entre ces différents acteurs renforcée par les liens que Bamba Fall décrivait plus haut. Des mariages exogamiques aux visites respectives en passant par les commerces communs qui rythment le quotidien de toutes ces ethnies, parler de réconciliation devient anachronique.

Situé entre trois infinis : l’infini du sable, l’infini du ciel et l’infini de l’eau fluviale, le village de Darou Salam, appelé aussi Lakhrar, charrie de la vie. De plus en plus métissés au contact des autres ethnies, ses habitants, quoique n’étant pas énarques, entretiennent une exemplaire diplomatie de bon voisinage avec les autres ethnies du Gandiol.

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Commentaires

Birome
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Le brassage culturel est un jallon essentiel dans la cohabitation des peuples, surtout dans la vallé du fleuve, particulièrement dans le Gandiol. Il est important aujourdhui de voire dans quelle mesure, ce lien séculaire impacterait sur les activités économiques, à y renforcer et batir un pôle de développement et d'émergence. Joli article et mettre en ligne le Rapport sur Déggou Niayes.

Ousmane Gueye
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Bonjour Birome. Merci de votre intérêt pour cet article. Article auquel j'ai consacré énormément de soin parce que le sujet de l'intégration me tient beaucoup à coeur. Oui bien sûr, il n'est pas inutile de voir l'impact économique de ce brassage. Merci de m'avoir donné là une piste pour d'autres reportages. Quant au rapport sur Dégou-Niayes dont vous avez fait mention, je n'ai pas compris.

Birome
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Bonjour Ousmane,
je voulais dire que lors de notre stage, bien que cela fait six ou sept années, nous avions produit un document, des informations recueillies sur le village de Dégou Niayes qui pourraient venir renforcer ton analyse. Ce fut durant notre satge rural et si ma mémoire est bonne, un exemplaire a été déposé au prés du CR à Gandon(2005)!