Les rationalités meurtrières
Il y a déjà quelques temps que je réfléchissais au hiatus entre ce qu’une certaine élite déclare comme étant ses idéaux et ce qu’elle fait en réalité. Cette analyse m’a valu Les rationalités meutrières que j’avais alors publié au titre de chronique sur le site du Journal Le Campus (UGB). C’est ce texte que je publie ici.
En cherchant à documenter cette réflexion qui me taraude depuis maintenant plusieurs années, un auteur a particulièrement focalisé mon attention. Il n’a pas attendu que je l’invite ; il a fait irruption dans mes pensées au moment où je m’y attendais le moins. L’histoire de notre rencontre remonte précisément le 08 Mars 2009 sur les ondes de Radio France Internationale grâce aux IDEES de Benoit Ruelle. Sur ces entrefaites, l’auteur arrachait déjà mon affection et un de ses ouvrages majeurs me marque, s’il n’achève de m’hypnotiser. Ayez l’amabilité de me pardonner pour vous avoir tenu en haleine jusque là. Je voulais bien vous parler de mon héros. J’ai nommé l’écrivain franco-libanais, Amin Maalouf, prix Goncourt 1993 pour le Rocher de Tanios-entre autres distinctions.
Amin est aussi l’auteur de l’essai Les identités meurtrières dont voici l’argument : L’auteur s’indigne des comportements humains lorsque l’affirmation de soi vacille souvent avec la négation de l’autre.
Cet argument est le même que celui de ma réflexion. Sauf qu’il ne renvoie pas à la même pensée, encore moins au même contexte car je vous parle bien de Sanar très précisément.
En effet, il n’ya pas un théâtre plus révélateur en termes d’oppositions de goûts, de couleurs, d’humeurs, de préférences, de croyances que celui du campus de l’UGB. Voilà ce que nous appelons « rationalités » au sens boudonnien de « bonnes raisons ». Les esprits les plus perspicaces diront que la chanson est connue : les gouts et les couleurs, on ne discute pas. Toutefois, qu’en est il, comme à la lumière de l’argument d’Amin Maalouf, quand « l’affirmation de soi vacille souvent avec la négation de l’autre » ? Qu’en est –il quand chacun d’entre nous se dit être bien fondé de faire ce qu’il fait et de dénier à son camarade le bien-fondé de faire lui aussi ce qu’il veut bien faire ?
A promener une observation pénétrante sur la vie à Sanar, on est que frappé par l’explosion de ces rationalités. Des notes de mbalax à celles de rap passant par le reggae amplifiées tant et si bien qu‘on est tenté de croire que ces mélomanes sont les seuls à exister sur ce campus ! Les plus raisonnables veulent faire la différence ô combien distinctive en l’occurrence : ils ont acheté des baffles pour mieux « vivre leur vie ».
L’émulation est forte au grand bonheur de la raison ! Car d’autres étudiants décident de se surpasser. Et pour ce faire, ils ne tarissent jamais d’inspiration : se regrouper au coin d’un bloc, histoire de fumer quelques cigarettes à l’envi au son des éclats de rires bruyants, des moqueries et autres quolibets que l’on peut entendre très à distance.
La fumée, on n’hésite pas à la laisser échapper dans les boutiques, les restaurants privés, les rues du campus au mépris de la morale et du respect qu’on doit à autrui. Je me demande qui sont ces personnes effrontées dont l’insanité des actes défie les prescriptions de la pudeur ? Pensent-elles que cette brousse de Sanar au fond de laquelle loge cette Université est une jungle ?
J’ai été témoin, très chers lecteurs, d’une scène montrant des sportifs dans une salle télé entrain de préparer mystiquement une rencontre. Leur plus grande trouvaille, c’est d’avoir inondé la salle de leur eau bénite et Dieu sait que le liquide coulait abondamment. Et cela, pendant que leurs camarades attendaient, interdits, dehors pour tenir une conférence.
Mais comment s’indigner de ces actes quand je constate que ceux des personnes qui devraient nous servir d’exemples sont parfois loin de valoir le détour ? Faisons un petit détour justement par les UFR pour mieux en juger. Ils sont nombreux, en effet, les étudiants dont les témoignages m’apitoient et cela m’est toujours resté en travers de la gorge. Me reviennent toutes ces causeries et discussions dans certains bureaux au sujet d’affaires purement personnelles pendant que des gens languissent à l’entrée, attendant leur tour. Il m’est arrivé un jour, au service pédagogique de l’UFR LSH, d’assister à l’ouverture des guichets après 10 heures pour un service qui devait fonctionner dès 9 heures du matin. Aussi, ai-je eu l’occasion de voir un des agents du personnel éconduire des étudiants à 11h 18 minutes alors qu’ils en avaient encore jusqu’à 11h 30. Un camarade m’a même confié qu’un jour ce même agent a fermé le guichet à 10 heures au simple motif qu’il a commencé à travailler dès 8 heures. Mais qui lui a demandé de venir à cette heure ? Personne n’exige de lui, ni plus, ni moins que respecter strictement ce qui est affiché, puisqu’il ne travaille pas les samedis et dimanches.
Sur quel compte dois-je mettre toutes ces erreurs sur les attestations et notes des camarades étudiants en début d’année qui se débattent matin et soir pour se les faire corriger ?
Je me sens perdu et, comme un aveugle qui cherche son bâton, je titube, puis vacille… Je me sens comme un étranger. Exilé de l’intérieur que je suis, dans ma propre Université, je passe parfois mes journées à ruminer mon « altérité ».
Ce qui est étrange dans ce campus, c’est que toutes les personnes auxquelles j’ai fait allusion ici ne se prennent pour fautives puisque pensant avoir de « bonnes raisons » de faire ce qu’elles font. Chacune va son bonhomme de chemin. Voilà ce qui exacerbe ces rationalités meurtrières.