27 novembre 2010

Cruelle altérité:

Cruelle altérité

Trainant nonchalamment sa carcasse sous l’énorme poids de sa quarantaine d’années, Mbomi Yida Innou a le regard rivé vers l’horizon. On eut dit que quelque chose d’extraordinaire distrait son attention. Quelque chose d’on ne peut plus curieux se passe en ce lieu subjectif dont il est le seul à pouvoir observer les événements ambiants.

Chaque geste exprimé et chaque parole articulée traduisent l’énorme fossé qui le sépare des autres L’indolence de ses déplacements se mesure à l’aune de sa nonchalante marche et de la lenteur qu’il apporte dans la réponse à mes questions. S’il sort de chez lui, c’est pour faire le tour des rues de son quartier et revenir à son poste habituel : couché sur son lit et fixant du regard les quatre murs de sa chambre.

Toutes paroles adressées à ceux avec qui il partage la même maison est souvent vite réprimée : injures, youpi, moqueries, sabotages… Cette cruelle moquerie vient quotidiennement lui rappeler sa vraie nature. Et pourtant, sa vraie nature, il ne doit point en avoir honte : Mbomi Yida Innou est désœuvré.

Il ya longtemps qu’il vendait des papiers à usage des boutiquiers à Dakar. C’est avec cette maigre somme d’argent qu’il trouvait satisfaction à ses besoins : cigarettes, papier à tabac, rizla…

Maintenant, les temps ont vraiment changé. La cruauté du destin s’est brutalement abattue sur lui, tel l’effet d’un tonnerre. Il jeta alors son dévolu sur la consommation de l’alcool pour l’y noyer. Rien n’y fit.

Sans aucune résistance, ouvert à tous les dangers, la maladie l’attaqua.

A son sortie d’hôpital, après quelques semaines, je le revois à Saint-Louis où je l’ai connu et rencontré pour la première fois. Cette exclusion sur le marché du travail, il se la remâche avec de terribles ressentiments. Il se désole de n’avoir pas fait de longues études afin d’espérer mieux que ce que lui procure sa cruelle condition de vie. « Je n’ai même pas de permis de conduire », dixit Mbomi Yida Innou.

A la lumière de ses déboires, d’autres jeunes, moins âgés que lui, croupissent dans la désolation au sein des quartiers de Saint-Louis et des villages environnants.

Au Gandiol, à part le commerce et la pêche dont on peut minorer le poids actuellement sur l’économie locale, il ne reste que l’agriculture qui s’offre comme ultime recours. Cette activité ne manquait point de bien nourrir ses hommes. De toutes les contrées du Sénégal et même de la Guinée, arrivaient des jeunes à la recherche du travail.

Hélas, la poussée de la salinité mit un frein à la fertilité des sols. Il n’y en a que quelques centaines d’hectares à en être épargnés. Encore, faudrait-il préciser que c’est pour le moment ! Car la salinité avance inexorablement.

Ainsi, on a connu de fortes vagues de départ à l’exode rural vers les régions de Thiès, Dakar, Louga, Casamance etc. Même celles de la sous-région ne sont pas en reste. L’appétit de réussir suscite la tentation à tout. On note la présence de Gandiolais en Mauritanie et en Gambie surtout. Ces pays ont des fleuves dont les eaux sont réputées poissonneuses.

Dégou-Niayes ne sort pas du lot. Peu de jeunes alimentent la chronique du quotidien de ce village. Les autres  sont partis traquer la substance ailleurs. Pour ne pas sentir que le temps avance, ils s’adonnent aux jeux de cartes et à des causeries nocturnes, parfois jusque tard dans la soirée.

Ces drames silencieux dont l’écho ne va pas plus loin de l’esprit dans lequel on les ressent, meurtrissent pourtant et désolent toujours. Ajoutés à la non-électrification de la contrée et à un manque monstre d’eau propre (lire de « Dégou-Niayes : L’Eau en charrette »  sur ce même blog), les villageois crient leur malheur. Mais, ils ne sont presque jamais entendus. Chaque campagne électorale qui passe est un revers enregistré pour eux. Ma foi, ils sont tout temps dupés par des politiciens véreux qui leur promettent monts et merveilles avant de repartir dans leurs belles voitures.

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Commentaires

Andriamihaja Guénolé
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Le problème du chômage est très courant dans les pays africains comme à Madagascar. Et c'est pour trouver de l'emploi que les jeunes quittent les villages, mais arrivés en ville ils se confrontent à une situation plus inconfortable auparavant!
L'exode n'est pas une solution, par contre l'agriculture si! Mais dommage qu'il y a le problème de la salinité du sol! Mais je pense qu'il y a sûrement d'autre activités qui permettront d'occuper les jeunes! Pourquoi pas le tourisme par exemple?

Ousmane Gueye
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Salut !
Effectivement, je conviens parfaitement de cette analyse.Il faut dire que chez nous au villag, l'Etat est presque absent quand il s'agit de promouvoir.Mais s'il faut réprimer, il est toujours là centrant l'Etat sur son éternelle définition "d'appreil répressif(" au sens de Luis Althusser. J'espee qu'il n'en est pas de meme à Madagascar. Je vous souhaite vraiment de la chance pour ne pas tomber dans ce cauchemar.A madagascar il manque d'eau et d'electricité aussi ?