La fin des maîtres
Dans une chronique intitulée, il y a quelques mois, « Les oscars du plagiat », je pointais déjà la terrible déchéance des maitres. Ceux-là qui se vautrent de plus en plus dans la facilité et sa culture, commencent malheureusement à faire légion. Si ailleurs, ils sont combattus et punis en vertu de la loi, chez nous, hélas, le masla dans sa version pervertie, constitue le dernier rempart contre la sévère correction qu’on doit apporter à leurs contraventions.
Je serais tenté de dire qu’il faut que le regard réprobateur change de camp : si d’ordinaire, il y a un conseil, un comité, que sais-je… pour contrôler le travail des étudiants, il faut que ce même souci de transparence préside à la volonté d’évaluer et de surveiller nos chercheurs.
C’est aussi une exigence que nous devons instaurer au sein de nos Universités à l’heure où le chantier de l’audit des fonctionnaires est ouvert. Comment peut-on accepter qu’un « professeur » payé pour dispenser des cours et faire de la recherche, puisse se permettre de copier-coller les leçons de ses collègues en raison de la facilité qu’offre Internet ?
Comment peut on comprendre que ces mêmes enseignants puissent se permettre de dire –la chanson est connue – « rendez-moi mes mots » lors des évaluations ? S’avisent-ils un instant, seulement un instant, qu’ils sont en présence d’apprenants probablement plus instruits et plus informés qu’eux ?
Ne se rendent-ils pas compte que nous ne sommes plus à l’âge d’or de la presse écrite où les journaux n’étaient lus que par quelques privilégiés qu’on appelait avec- une certaine once de condescendance-, l’« élite » ?
A l’heure où vous lisez cette réflexion, à l’heure de la société du savoir, le cours de l’histoire s’est, comme qui dirait, inversé : la connaissance n’est plus otage d’un cercle restreint d’illuminés, voire de prophètes qui prédisent notre avenir ou sondent les mystères du ciel.
Nul ne peut s’enorgueillir de la détenir au détriment de ses semblables. Les livres fourmillent dans les bibliothèques aussi bien traditionnelles que numériques. L’imagination humaine devenant de plus en plus fertile quand elle n’est pas vive, le savoir non mis à jour devient rapidement caduc en raison de l’information qui circule très vite.
Toutes choses délégitimant nos grands maîtres qui, à force de nier le réel, se ridiculisent de jour en jour. J’en ai vu un de très présomptueux et de très condescendant qui n’a comme artifice que de sophistiquer des évidences, entendez complexifier le simple. Je suis toujours meurtri quand j’entends certains étudiants, quelque peu ingénus, dire « comme l’a dit Monsieur… « La citoyenneté active »… Au train où vont les choses, la citoyenneté est nécessairement active, j’allais dire par définition. Nous sommes loin du temps où on se la disputait juridiquement. La mode intellectuelle la pense désormais en la connectant aux luttes pour le mieux-être, l’intégration des minorités, les égards pour la nature, l’exigence de s’expliquer et de rendre des comptes de plus en plus prononcée des populations à l’endroit des régimes en place… Déjà aux environs du Vème siècle, était considéré comme citoyen chez les Grecs, celui qui participait aux affaires de la cité, entendez qui exerçait des actions allant dans le sens de peser sur le cours des choses. Tout le contraire de ceux dits « esclaves » qui n’avaient pas accès à l’Agora, l’espace public. Même cas avec ce que furent les quatre communes au Sénégal où existait une dichotomie entre sujets et citoyens.
Donc entendons-nous bien : l’adjectif « active » postposé à « citoyenneté » n’ajoute aucune information supplémentaire. La notion d’activité (au sens de « actif ») est déjà contenue dans le mot « citoyenneté ».
C’est à peu près la même observation que je fais d’une autre appellation hélas devenue très courante et entretenue par certains maitres : « honnêteté intellectuelle ». Mais diable, comment peut-on être intellectuellement honnête pendant que, dans d’autres sphères d’activités, on est hypocrite ou traitre ?
Quand ce n’est pas la sophistication de ces évidences, les maitres butent très souvent sur des évidences mêmes allant jusqu’à travestir la pensée d’honnêtes auteurs. J’ai suivi le cours de l’un d’eux. Il était question de distinguer « sociologie critique » et « sociologie de la critique » chez Luc Boltanski. Je vous donne ici le lien de l’émission où cet auteur faisait la distinction.
A ma grande surprise, l’enseignant en question n’avait rien compris de ces deux expressions puisqu’il disait en substance que « sociologie critique », c’est quand le chercheur se met dans une attitude d’objectivation (comprenez quand il s’autocritique, quand il adopte une position réflexive au sens de Bourdieu) et « sociologie critique », …allez savoir… Et le comble du ridicule, c’est qu’il en parlait avec une assurance déconcertante.
Au terme de cette réflexion (que je poursuivrai en d’autres circonstances), je suis navré d’autant que je me sens impuissant devant l’ampleur d’une telle culture de la facilité et du laisser-aller. Mon seul réconfort, c’est que tous les enseignants ne sont pas comme ça. Mais, c’est terriblement dommage que cet infime espoir ne peut compenser mon impuissance à freiner la vague.