Interview avec Adama Sow, commerçant à Dakar
« Macky Sall doit veiller à la livraison des sites de recasement »
C’est à son appartement situé aux Parcelles Assainies qu’Adama Sow nous donne rendez-vous pour cet entretien.
La mine légèrement harassée qui contraste avec une envie de s’exprimer, il répond à nos questions. Manifestement, l’actualité du déguerpissement des vendeurs accusés d’occupation irrégulière est quelque chose qui lui parle.
C’est donc avec une faconde bien circonstancielle qu’il aborde ce sujet avec nous.
Depuis quelque temps, nous les mauvaises nouvelles ne manquent pas au sujet des déguerpissements notés ces derniers jours à Dakar.
Vous sentez-vous visé ?
Si, je prévois bien qu’un jour, je serai déplacé, que ce soit ici aux Parcelles Assainies ou à Mbao.
Pourquoi pensez-vous que vous êtes visés par la mesure ? Vous êtes hors-la loi ?
Bon (petite hésitation)…On ne peut dire si nous sommes dans la loi ou pas. C’est bien la mairie qui nous a permis d’élargir notre place. Et quand nous payons mensuellement, nous le faisons au motif que nous occupons la place publique. Je pense que c’est légal. Donc, je ne vois pas pourquoi nous serions hors-la loi. Mais puisque ceux qui sont déjà déguerpis s’acquittaient de la taxe comme moi, je ne peux qu’avoir des craintes.
Donc, vous êtes inquiet ?
Oui bien sûr.
En cas de déguerpissement, pouvez-vous objecter à la mairie que vous avez toujours honoré vos mensualités et que vous ne quitterez qu’après recasement ?
Bon, l’Etat est au dessus de tout le monde. Personne ne peut l’égaler en termes de puissance. Il arrive qu’il rase des maisons pourtant dûment construites. Donc, je suis bien fondé à m’inquiéter au même titre que tous les autres vendeurs.
Comprenez-vous les causes de cette mesure ?
Pour moi, on déguerpit les gens pour désengorger la capitale sénégalaise en vue de l’embellir. On déguerpit aussi pour fluidifier la circulation.
Donc, ça vous semble juste ?
Oui, cette mesure consistant à déguerpir ceux qui occupent anarchiquement l’espace public me semble juste. Néanmoins, on aurait pu agir autrement. A mon avis, l’Etat doit aider à baisser le coût du loyer. Par exemple, je paie chaque mois 130.000 FCA (loyer), 20.000 FCA (mairie) et autres dépenses (pour le personnel notamment). Ce prix élevé de frais fait que je ne peux pas me permettre de louer un autre espace. Donc, je suis obligé d’élargir ma place en prenant le risque d’être déguerpi.
Si jamais où vous déguerpissez d’ici, quelles conséquences ?
Voyez-vous, je dépense chaque mois 570.000 FCA. J’occupe un espace de 4 m2. Les produits stockés dans une telle étroitesse ne peuvent pas générer plus de 570.000 FCA. Je suis obligé de déborder un peu pour avoir plus de place. Or, en venant me déguerpir, la mairie exigera que je me contente de l’espace que j’ai déjà loué et qui se révèle trop étroit. Donc, je serai obligé d’aller chercher un autre endroit à louer en même temps, ce qui augmentera mes dépenses. Est-ce que je me fais comprendre ?
Oui
Comment appréciez-vous la politique du nouveau régime en matière de gestion de l’espace public ?
Pour moi, l’Etat est une continuité. Certes, le Président Wade avait eu maille à partir avec les marchands ambulants, mais au moins, il les avait rencontrés. Ces derniers étaient convenus avec l’ancien locataire du Palais de la construction d’un marché pour recaser tous ces vendeurs inquiets. Macky Sall doit veiller à la livraison des sites de recasement.
Dans cette perspective, y a-t-il selon vous des ruptures entre Abdoulaye Wade et Macky Sall ?
Non, je trouve que nous sommes dans la continuité. L’actuel Président de la République n’a fait aucun geste concret. Les choses sont restées en l’état.
Depuis quelques temps, nous entendons vos camarades commerçants dire qu’ils n’arrivent plus à écouler leurs produits. Qu’est-ce qui expliquerait un tel état de fait ?
Je trouve que Dakar n’offre plus de main d’œuvre. Par le passé, il y avait beaucoup de travaux qui occasionnaient de l’emploi pour des milliers de personnes. Ce qu’ils gagnaient étaient versé dans le panier de la ménagère. Etant donné que toutes ces personnes ne travaillent plus dans les sentiers, chacun devient commerçant. Donc, de moins en moins d’acheteurs. Parce qu’il faut dire que le commerce, l’élevage et la pêche sont des activités qu’on pourrait qualifier de pis-aller. Quand on ne sait plus où aller, on s’y agrippe.
Vous venez du Gandiol (Saint-Louis) pour vous installer à Dakar. Le commerce nourrit-il son homme aujourd’hui ?
Le commerce ne nous arrange plus. Quand je venais fraichement de débarquer à Dakar, peu de personnes s’adonnaient à cette activité. De nos jours, tout le monde le pratique, y compris ces milliers de villageois qui ne trouvent plus du travail à la campagne.
Qu’est ce que tes camarades ressortissants de Gandiol en pensent ?
Ils ont le même avis que moi.
Le Gandiol est une zone réputée pour la richesse de son agriculture ? Vous vous y retournerez un jour ?
Absolument. En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de projets pour le Gandiol. Vous avez parlé d’agriculture, n’oubliez pas qu’on peut aussi y travailler dans les secteurs de la pêche et de l’élevage. Mais tout cela demande des moyens. Nous y réfléchissons actuellement.
Quelle alternative face à l’aridité de l’exercice du commerce dans les circonstances actuelles ?
Ayant compris que vivre à Dakar devient de plus en plus cher, et que le commerce est peu rentable, je pense déjà tout à fait autre chose.
S’il vous était possible de conseiller l’Etat en matière d’emploi des jeunes, que lui diriez-vous ?
Deux seules choses. La première, protéger les intérêts de chaque citoyen. Que ceux qui sont suspects de tricherie en répondent. La seconde, je recommande au Président Sall de transférer la capitale pour désengorger un peu. Qu’il assiste les agriculteurs car ils ne demandent qu’à travailler. IL faut les encadrer et leur assurer des moyens.