Chronique : De l’étudiant modèle au modèle d’étudiant
Bien des mois après cette chronique, la réalité que je dépeignais à Sanar est toujours là, inoubliable, imperturbable ! Une des raisons qui me pousse à re -publier cette réflexion que j’avais intitulée « De l’étudiant modèle au modèle d’étudiant ».
Par Ousmane GUEYE
De l’étudiant porteur d’espoirs et dont on redoutait les idées parfois subversives, il ne reste que cet esprit contrariant trainant nonchalamment sa carcasse vers les UFR. Adieu les temps où Senghor nourrissait des craintes à leur égard en bâillonnant les apprentis sociologues de Dakar. Une attitude salvatrice qui se voulait d’endiguer la marée de soif de liberté, avec en toile de fonds, les événements de Mai 68. Finie l’époque de la folle course aux savoirs, des débats sur l’actualité, de la curiosité jamais assouvie ! Nous assistons à la triste fin d’une merveilleuse époque et au début d’une autre, d’un tout autre ordre !
Du moins, à la lecture jamais interrompue du quotidien au campus, c’est ce constat qui me saute sous la plume. C’est étonnant que la recherche du savoir ne passionne plus les « enfants de Wade ». Que le campus soit submergé de monde quand il y est question de politique.
Que des salles de conférences et des amphithéâtres soient désertés quand on y traite de connaissances en dehors des cours. Les organisateurs de telles rencontres ne se sont jamais mépris sur la nature des étudiants : il n’y a que l’aspect de « l’ici et maintenant » qui les passionne. C’est pourquoi, en désespoir de cause, ils n’ont pas accusé de temps pour se créer une ruse : sur les affiches, est souvent mis en évidence « il y aura cocktail » pour susciter les affluences.
Plusieurs périphrases se sont bousculées dans ma tête pour qualifier cette rupture dans la longue marche de l’UGB. Je résistai d’abord à celle-ci : la mort de l’étudiant. Ensuite, une autre me tenta : la fin d’un mythe. Et enfin, je décidai ce titre: de l’étudiant modèle au modèle d’étudiant.
Quand je pense à ce qu’était Sanar en 1990, et à ce qu’est devenu Sanar 20 ans après, l’envie de vivre au présent me fuit. Mon esprit s’affaisse à force de constats amers, de regrets et d’incessantes « pérégrinations » entre le passé et le présent. Qui n’aurait pas voulu, par un coup de baguette magique divine, que le temps soit reculé, que le futur soit supprimé, pour que la vie soit éternellement fixée sur cette année 1990 ? Ce serait surement le vœu le plus fou, formulable pourtant par des esprits les plus sains de chez nous. Car on ne peut pas détester le bien en se défendant d’être bien, ni détester le bien et idolâtrer le mal.
Sur les ruines de l’étudiant modèle, se construit un nouveau modèle d’étudiant. Vous n’avez qu’à ouvrir les yeux et tendre les oreilles pour vous rendre à l’évidence. Par quel moyen ? Je ne sais pas, mais surement à l’évidence, vous allez vous rendre chers lecteurs.
Le modèle d’étudiant que le mauvais temps expérimente chez nous est celui qu’aucune question sociale n’interpelle en dehors de l’UGB. Il n’a aucun commentaire ou avis à donner sur la marche du monde. Pire, il n’esquisse aucune idée pour la freiner ou l’obliger à bifurquer de sa trajectoire. C’est ce blasement, cette rare « qualité » dont seul l’étudiant de Sanar est doté, qui s’appelle « excellence ». Ne t’offusque pas de n’en être point attribué cher lecteur, la nature distribue très injustement ce rarissime don du ciel !
Malheur à nos anciens camarades de l’UGB. Ils s’en sont allés pour ne plus revenir de leur étonnement : nous sommes à l’heure de l’étudiant programmé. C’est celui là dont l’esprit est « amarré » sur ses cours, qui ne s’occupe que de ça, du travail en classe ! C’est celui là qu’on n’arrive plus à identifier aux braves hommes qui veillent devant l’entrée des restos ! Car eux aussi, s’habillent en « costumes-cravates », roulent les « r », martèlent les « bonjour », « bonne journée » et les « bonsoir », Ils vous parlent un Français irréprochable en inclinant leurs lunettes sur la presse du jour. Décidément vous diriez-vous : Comment reconnaît-on l’étudiant de nos jours à Sanar ? Car l’engagement grâce auquel on l’identifiait s’est éclipsé. C’est ce que la transition de « l’étudiant modèle au modèle d’étudiant » donne. Nous sommes à l’heure de l’étudiant-spectateur.